Mes lecteurs les plus fidèles (et je sais qu’ils existent) ne manqueront pas de remarquer que nous avions déja rendu hommage dans nos pages à une œuvre du même nom (ou plutot prénom).
La Gloria du roman de W.T. Vollmann était une figure absente mais obsédante, haute représentante de l’amour et de la quête, icône carbonisée au sexe et aux excès.
La Gloria de Cassavetes respire davantage. Film tardif dans la carrière de ce réalisateur américain hors pair et surtout hors circuit, auteur, entre autres, des sublimes Minnie and Moscowitz (à voir absolument) et d’ Opening Night, Gloria est à la fois un bijou de cinéma, un road-movie à l’envers et une ôde à la féminité. Tout pour nous plaire.
A New-York, la famille Dawn est dans la merde. Le père, comptable pour la mafia, a fauté auprès du FBI. Et dans le milieu, on ne plaisante pas. Quelques minutes avant la descente vengeresse, Gloria, voisine des Dawn, vient emprunter du café et repart avec… Phil, leur fils de six ans, ainsi que le cahier de comptes du père.
S’engage dès lors pour nos deux héros une course folle dans la grosse pomme, transformée, en raison des circonstances, en un véritable piège arachnéen. D’hôtels miteux en fusillades urbaines, comment tisser des liens sur rien, dans l’urgence, dans la violence, et malgré soi ?
Gloria, alias Gena Rowlands, ancienne call-girl qui pensait en avoir finit de la pègre et de la peur, prise entre ses restes de féminité et un instinct maternel maladroit, forme un splendide duo avec ce petit bout de garçon prématurément orphelin et qui, avant même l’âge de raison, scrute les contours des relations humaines avec une clairvoyance bouleversante.
« You’re not my mother ! My mother’s pretty !! », hurle l’enfant déraciné.
Cassavetes a le don de détourner les symboles.
Dans Gloria, la ville n’est plus le lieu de la vie, mais un superbe écrin de solitude, où chaque bruit, chaque voiture, chaque geste est une menace.
La femme n’est plus le sexe faible, mais la tribune du courage, de la force et de la survie : Gena Rowlands, sa blonde rigueur, son pas élégant et soutenu, sa gouaille irréversible, donnent au film une justesse sidérante.
« I love you Gloria, I love you to death », finit par déclarer Phil, faisant de Gloria un film qui finit bien sur les rencontres qui commencent mal.
Le triomphe de la femme et de l’enfant réussi le pari de la revanche des faibles, de ceux qui choisissent leur camp par dépit, et de l’inattendu qui, au cinéma, est toujours gage de qualité.